— Mais, reprit Gregory, et il brandit le chèque dans sa main gauche, si tu ne me dis pas le sens de ces paroles, rebbe, je révélerai à la police le lieu où je les ai entendues naguère : ici même, dans cette maison des hassidim où est né Gregory Belkin, l’homme du mystère, le fondateur du Temple de l’Esprit !

J’étais médusé. J’attendais, sans détourner mon regard du vieil homme.

Il tenait bon.

Gregory soupira. Il fit un pas, puis se retourna, les yeux levés au ciel.

— Je leur dirai : « Oui, monsieur, j’ai déjà entendu ces paroles chez mon grand-père, un jour, lorsque j’étais enfant. Oui, il vit encore, et il faut que vous alliez le voir, pour lui demander ce qu’elles signifient. » Je te les enverrai, et tu pourras leur expliquer le sens de ces paroles.

— Assez ! déclara le vieillard. Tu es idiot, tu l’as toujours été. Il soupira lourdement, puis demanda, songeur : Esther a prononcé ces mots-là ? Des hommes l’ont entendue ?

— Les ambulanciers ont eu l’impression qu’elle regardait quelqu’un par la vitre, dehors, un homme aux longs cheveux noirs. C’est un secret que la police garde dans ses dossiers, mais les autres ont vu Esther le regarder, et cet homme, rebbe, il pleurait ! Il la pleurait !

Maintenant, c’était moi qui tremblais !

— Tais-toi. Ne…

Gregory émit un petit rire, gentiment moqueur. Il recula, se tourna un peu de droite et de gauche, sans jamais lever les yeux vers moi. Puis il dévisagea le rebbe.

— Je n’ai jamais songé à accuser aucun d’entre vous de l’avoir tuée. Jamais une telle pensée ne m’a effleuré, bien que je n’aie entendu ces paroles proférées par aucune autre bouche que la tienne ! Et j’ai à peine franchi ta porte que tu m’accuses d’avoir assassiné ma propre belle-fille ! Pourquoi aurais-je fait une chose pareille ? Je viens ici par respect pour ses dernières paroles !

— Je te crois, répondit le vieil homme calmement. La pauvre enfant a dû prononcer ces mots. Les journaux ont évoqué des paroles étranges. Je te crois. Mais je sais aussi que tu as tué ta fille. Que tu l’as fait tuer.

Les bras de Gregory se tendirent comme pour frapper le rebbe. Mais il ne le pouvait ni ne le voulait. Cela n’arriverait jamais entre ces deux hommes, je le savais. Cependant Gregory était à bout de patience, et le zaddik ne doutait pas de la culpabilité de Gregory.

Moi non plus. Quelle raison avais-je pour cela ? Rien de plus que le zaddik, peut-être.

J’essayais de voir leurs âmes, car ils pouvaient se vanter d’avoir une âme, l’un comme l’autre, puisqu’ils étaient de chair et de sang. J’essayais de regarder, comme n’importe quel humain regarderait, comme n’importe quel fantôme scruterait les profondeurs de l’âme des vivants. Je penchai un peu la tête en avant, comme si le rythme de leur respiration allait me renseigner, comme si les battements de leur cœur allaient dévoiler le secret ! Gregory, l’as-tu tuée ?

Le vieillard posa-t-il la même question au jeune homme ? Il se pencha sous la lumière de son ampoule poussiéreuse ; ses yeux ridés brillaient.

Il regarda encore Gregory ; par hasard et sans aucun doute, il me vit.

Son regard glissa très lentement et naturellement de son petit-fils à moi.

Il vit un homme là où je me trouvais. Il vit un jeune homme avec de longues boucles noires et des yeux noirs. Il vit un homme de haute taille et de bonne force, très jeune ; si jeune qu’on aurait pu le prendre pour un adolescent. Il me vit. Il vit Azriel.

Je souris, légèrement, comme un homme sur le point de parler et non de railler. Je lui laissai voir la blancheur de mes dents. Je manifestai à son regard secret que je ne le craignais pas. Tel que lui-même ou l’un des siens, j’arborais une barbe entière et un caftan de soie noire.

Je ne savais ni pourquoi ni comment, mais je le savais : j’étais l’un des siens, plus sûrement que je n’étais apparenté au prophète Huckster avant lui.

Un élan de force me parcourut, comme si le vieil homme avait imposé ses mains sur les ossements en se lamentant sur moi ! Ainsi qu’il arrive souvent quand on me voit, je pris des forces. J’étais presque aussi fort en ces moments-là que maintenant.

Le vieil homme ne révéla d’aucune manière à Gregory ce qu’il avait vu. Ni à moi. Il resta immobile. Le mouvement de ses yeux autour de la pièce paraissait naturel et ne s’arrêtait sur rien en particulier ; il n’exprimait aucune émotion ; il était juste un peu terni par le chagrin.

Il me dévisagea encore, de cette manière voilée et parfaitement calme que Gregory ne pouvait remarquer.

La pulsation se fit plus vive en moi, la coquille parfaite de mon corps resserra ses pores. Je sentais qu’il me voyait et me trouvait beau. Jeune et beau ! Je sentais la soie qui m’habillait, le poids de ma chevelure.

Tu me vois, rebbe, tu m’entends. Je parlais sans remuer la langue.

Il ne me répondit pas. Il me contemplait comme un homme contemple ses pensées. Mais il avait entendu. Ce n’était pas un faux prêcheur mais un vrai zaddik, et il avait entendu ma petite prière.

L’homme plus jeune, totalement trompé et le clos tourné vers moi, poursuivit en anglais.

— Rebbe, as-tu raconté cette vieille légende à quelqu’un d’autre ? Se peut-il qu’Esther soit venue ici pour découvrir qui tu étais ?

— Ne sois pas stupide, Gregory. Il détourna son regard de moi. Puis l’y ramena, pour ajouter : Je ne connaissais pas ta belle-fille. Elle n’est jamais venue ici. Ta femme non plus. Tu le sais.

Il soupira, les yeux fixés sur moi comme s’il craignait de les en détourner.

— Est-ce une légende des hassidim ou des Loubavitch ? insista Gregory. Une chose que l’un des Misnagdim aurait pu raconter à Esther ?

— Non.

Nous nous dévisagions. Le vieillard, vivant, et le jeune esprit, robuste, devenant à chaque instant plus vif et plus fort.

— Rebbe, qui d’autre… ?

— Personne, répliqua le vieillard, me fixant comme je le fixais. Ce que tu te rappelles est vrai, et ton frère ne pouvait pas entendre ; quant à ta tante Rivka, elle est morte. Personne n’a pu le répéter à Esther.

Alors seulement, il détourna les yeux de moi pour scruter Gregory.

— Tu parles d’une chose maudite, un démon que seule une puissante magie peut appeler, pour accomplir le mal.

Ses yeux revinrent vers moi, alors même que le jeune homme le dévisageait ardemment.

— Alors d’autres Juifs connaissent ces histoires ? Nathan sait…

— Non, personne. Écoute, ne me prends pas pour un idiot. Tu dois bien te douter que je sais que tu t’en es amplement enquis auprès des autres Juifs. Tu as fait appel à diverses congrégations, à des professeurs d’université. Je connais tes manières. Tu es trop habile. Tu as des téléphones dans toutes les pièces de ta vie. Tu n’es venu ici qu’en dernier recours.

Le jeune homme acquiesça.

— Tu as raison. Je pensais que ce serait de notoriété publique. J’ai mené mes recherches. Les autorités aussi. Mais ce n’est pas de notoriété publique. Me voilà donc ici.

Gregory inclina la tête et tendit le chèque plié au rebbe.

Cela donna au vieillard l’occasion de me faire un signe – cache-toi ou tais-toi – d’un bref mouvement des yeux. Ce n’était ni un ordre ni une menace. Plutôt une prière.

Puis je l’entendis. Ne te révèle pas, esprit.

Très bien, vieil homme. Pour le moment, qu’il en soit comme tu le souhaites.

Me tournant toujours le dos, Gregory déplia le chèque.

— Explique-moi cette affaire, rebbe. Dis-moi ce que c’est, et si tu l’as toujours. Tu disais à Rivka que ce n’était pas une chose facile à détruire.

Le vieil homme leva les yeux sur Gregory.

— Peut-être te dirai-je tout ce que tu souhaites savoir. Peut-être te le livrerai-je. Mais pas pour cet argent. Nous en avons plus que nécessaire. Tu devras nous donner ce qui compte pour nous.

Gregory était très excité.

— Combien, rebbe ? Tu parles comme si tu avais toujours cette chose.

— Je l’ai toujours, en effet.

J’étais stupéfait, mais pas surpris.

— Je la veux ! affirma Gregory, si farouchement que je craignis qu’il n’ait joué trop fort. Dis ton prix !

Le vieillard réfléchit. Ses yeux me fixèrent puis s’éloignèrent. Je vis la couleur raviver ses traits pâlis, et ses mains s’agiter. Lentement, il laissa ses yeux se poser sur moi.

Pendant une précieuse seconde, tandis que nous nous dévisagions, tout le passé menaça de devenir visible. Je vis des siècles par-delà Samuel. Il me sembla apercevoir un reflet de Zurvan. Je crois même avoir vu la procession. J’ai aperçu la silhouette d’un dieu d’or qui me souriait. J’en ai éprouvé la terreur de savoir, d’être comme les hommes, avec des souvenirs et de la souffrance.

Si cela ne s’arrêtait pas en moi, j’allais connaître une telle agonie que je hurlerais comme un chien, comme le chauffeur à la vue du corps affaissé d’Esther. Le vent m’emporterait à jamais avec les autres âmes perdues et hurlantes. Lorsque j’avais tué le maître mamelouk au Caire, le vent était venu me chercher, et je m’y étais débattu jusqu’à l’oubli.

Reste vivant, Azriel. Le passé attendra, et la souffrance, et le vent, à jamais. Reste vivant.

Je suis ici, vieillard.

Calmement, il me regardait, à l’insu de son petit-fils. Il parla ensuite en anglais sans détourner les yeux de moi, tandis que Gregory se penchait pour mieux saisir ses paroles.

— Va derrière moi, derrière ces livres. Ouvre l’armoire que tu vois là. À l’intérieur, tu verras une étoffe. Soulève-la, et apporte l’objet que tu trouveras dessous. Il est lourd, mais tu arriveras à le porter. Tu es suffisamment fort.

J’en perdis le souffle. Je l’entendais de mes propres oreilles, et je sentis mon cœur crier. Les os étaient ici.

Gregory hésita un instant, peut-être peu habitué à recevoir des ordres, ou à faire la moindre chose par lui-même. Je ne sais pas. Ensuite, il passa à l’action.

J’entendis grincer le bois, je sentis à nouveau l’odeur de cèdre et d’encens. J’entendis claquer les fermoirs métalliques. Je me sentis soudain dressé sur la pointe des pieds, et je repris une posture plus stable.

Le vieillard et moi-même nous dévisagions sans relâche. Je m’écartai des rayonnages pour qu’il me voie en entier, dans mon caftan semblable au sien. Il ne manifesta qu’une peur brève et infime, avant de m’ordonner, d’un signe de tête poli, de bien vouloir retourner me cacher.

J’obtempérai.

Derrière lui, hors de vue, Gregory fouillait en jurant.

— Déplace les livres, dit le rebbe. Écarte-les tous, insista-t-il en me regardant, comme s’il m’avait contrôlé du regard. Le vois-tu, à présent ?

La poussière m’envahissait les narines, je la voyais s’élever dans la lumière. J’entendais les livres s’écrouler. Oh, que c’était bon, d’entendre avec des oreilles et de voir avec des yeux ! Ne pleure pas, Azriel, pas en présence de cet homme qui te méprise.

Je portai mes doigts à mes lèvres, d’un geste spontané, comme pour prier face à un désastre. Je sentis ma moustache au-dessus de ma bouche, et la masse drue de ma barbe. Cela me plut. Comme la tienne, rebbe, quand tu étais jeune ?

Le vieil homme était rigide, indestructible, hautain et méfiant.

Gregory émergea de derrière la bibliothèque, et revint à la lumière.

Dans ses bras, il tenait le coffret.

Je vis l’or qui recouvrait le cèdre, et je vis qu’il était négligemment entouré de chaînes en fer.

Ils croyaient ainsi pouvoir me tenir, moi, Azriel ? Le fer ne pouvait pas tenir quelque chose comme moi ! J’avais envie de rire. Mais je contemplais ce coffret dans les bras de Gregory.

Un faible souvenir de sa fabrication me revint, mais je ne voyais personne clairement. Je me rappelais seulement l’éclat du soleil sur le marbre, et des paroles tendres. L’amour, un monde d’amour, et l’amour me ramena une fois de plus à Esther.

Gregory rayonnait de fierté et de fascination. Il se moquait que son manteau fût couvert de poussière. Et ses cheveux aussi. Il contemplait cette chose, ce trésor. Il se retourna pour le déposer, comme un bébé, devant le vieillard.

— Non ! Le vieil homme leva les mains. Pose-le par terre et éloigne-t’en.

J’eus un sourire amer. Ne te profane pas avec ceci.

Ne me prêtant plus aucune attention, il regardait le coffret que Gregory déposait sur le sol.

— Bon Dieu, s’exclama Gregory. Tu crois qu’il va s’enflammer ? Soigneusement, il disposa le coffret sous la lampe, devant la table du rebbe. C’est très ancien, cette écriture. Ce n’est pas de l’hébreu, mais du sumérien ! Il se frotta les mains, très excité. C’est inestimable, rebbe.

— Je sais ce que c’est, rétorqua le vieil homme, le regard en mouvement entre le coffret et moi.

Je ne changeais pas. Je ne souriais même pas.

Gregory était en extase devant cette chose, comme, devant la crèche, l’un des bergers venus adorer le Fils de Dieu fait homme.

— Qu’est-ce que c’est, grand-père ? Qu’est-ce qui est écrit dessus ?

Il effleura les chaînes de fer, lentement, comme s’il s’était attendu à recevoir l’ordre d’arrêter immédiatement. Il tâta les chaînons, grossiers, il toucha un parchemin inséré sous les chaînes.

Je n’avais pas aperçu ce parchemin avant que Gregory le caresse délicatement. L’or du coffret m’aveuglait et me faisait monter les larmes aux yeux. Je humais le cèdre, les épices, et la fumée qui saturait le bois sous le placage. Je sentais la chair d’autres humains et le parfum des offrandes.

Soudain ma tête chavira.

Je flairai les ossements.

Oh, mon dieu, qui m’a appelé ? Si seulement je pouvais, un seul instant, voir le joyeux visage de mon dieu, qui marchait naguère avec moi, ce dieu qui accompagne chaque homme. Si seulement il pouvait revenir.

Il ne s’agissait pas vraiment de mémoire, comprenez-vous, c’était un brusque élan sans explication, qui me laissait abasourdi et glacé.

Je pensais à cet être, « mon dieu ». Aurait-il ri ? M’aurait-il dit : « Alors, ton dieu t’a failli, Azriel, et même parmi le Peuple élu, tu m’appelles encore ? Ne t’ai-je pas averti ? Ne t’ai-je pas conseillé de t’échapper quand il en était encore temps, Azriel ? »

Mais mon dieu n’était pas là, et il ne souriait pas. Il n’était pas à mon côté, tel l’ami qui s’était promené avec moi dans la fraîcheur du soir sur les berges du fleuve. Et il ne me disait rien de tel. Mais il m’avait accompagné autrefois, et je le savais. Le passé était comme un déluge cherchant à me faire tomber et à me noyer.

Un violent espoir s’empara de moi, un espoir qui accéléra ma respiration, et, dans ma passion, les senteurs de la pièce me suffoquèrent.

Peut-être que personne ne t’a appelé, Azriel ! Peut-être es-tu venu de ton propre chef, peut-être es-tu ton propre maître ! Tu peux alors haïr et mépriser ces deux hommes tout ton saoul !

C’était si doux, cette force, ce sourire, cette apparente plaisanterie selon laquelle j’aurais pu détenir ce pouvoir moi-même. J’entendis presque mon petit rire. Je resserrai les doigts de ma main droite sur les boucles de ma barbe et tirai doucement.

— Ce rouleau est intact, rebbe, déclara Gregory avec ardeur. Regarde, je peux le dégager de ces chaînes. Peux-tu le lire ?

Le vieil homme leva les yeux vers moi comme si j’avais parlé.

Me trouves-tu beau, vieillard ? Je sais ce que tu vois. Je n’ai pas à le voir. C’est Azriel, non pas fait sur mesure par un maître, non pas modelé de telle ou telle façon pour un maître, mais Azriel tel que Dieu m’a fait autrefois, lorsque Azriel était tout à la fois une âme, un esprit et un corps.

Le vieil homme me foudroyait du regard. Je te l’ordonne. Esprit, ne te montre pas.

Oh oui, vieillard, tu me l’ordonnes, et je hais ton cœur glacé ! Des liens nous attachent l’un à l’autre, mais nous sommes tellement emplis de haine, toi et moi, que jamais nous ne pourrons apprendre si Dieu y a mis la main, pour elle, pour le bien d’Esther !

Médusé, il me dévisageait sans pouvoir répondre.

Courbé sur son trophée, Gregory toucha le manuscrit avec une délicate convoitise.

— Rebbe, cela vaut une fortune, dit-il. Dis ton prix. Laisse-moi ouvrir le rouleau.

Il posa la main sur le bois et ouvrit les doigts, épris de cet objet.

— Non ! dit le vieillard. Pas sous mon toit.

Je scrutai ses yeux pâles et vitreux. Je te hais. Crois-tu que j’aie demandé à être cette chose que je suis ? As-tu jamais été jeune ? Tes cheveux ont-ils jamais été aussi noirs et ta bouche aussi colorée ?

Il ne répondit pas, mais il avait entendu.

— Assieds-toi là, dit-il à son petit-fils en lui désignant le siège le plus proche. Assieds-toi là et remplis les chèques que je vais te dicter. Ensuite, cette chose t’appartiendra… avec tout ce que j’en sais.

Je faillis éclater de rire. Voilà donc ! Il savait que j’étais là, et il allait me vendre à ce petit-fils qu’il méprisait. Ce serait son horrible prix pour tout le mal que Gregory leur avait fait, à lui et à son Dieu. Il me remettrait entre les mains naïves de son petit-fils. Je me suis mis à rire, sans bruit, juste pour qu’il le voie – à un pétillement de mon regard, à un mouvement de ma lèvre, au hochement de ma tête en signe de révérence pour son habileté, sa froideur, la dureté de son cœur.

Gregory recula, trouva le siège et s’assit sur le vieux cuir pelé et mité. Il débordait d’excitation.

— Dis-moi ton prix.

Mon sourire devait être amer, perçant. Mais j’étais calme. Mon ancien dieu aurait été fier. Bien fait, mon garçon, bats-toi ! Qu’as-tu à perdre ? Tu crois que ton dieu compatit ? Écoute ce qu’ils te préparent ! Mais qui prononçait ces mots au fin fond des temps ? Qui les disait ? Qui était près de moi, plein d’amour, cherchant à me mettre en garde ? Je dévisageai Gregory. Je ne voulais pas me laisser distraire ou attirer dans ce filet de douleur ; j’allais commencer par pénétrer au fond de ce mystère et mon propre mystère pouvait attendre.

J’enfonçai légèrement les ongles de ma main droite dans la chair de ma paume. Oui, tu es bel et bien là, Azriel, que ce vieillard te méprise ou non, que ce jeune homme soit ou non un meurtrier et un imbécile, et que tu sois ou non vendu une nouvelle fois comme si tu n’avais pas d’âme. Tu es ici, et non pas dans les os rassemblés dans ce coffret !

Je fis comme si mon dieu était là. Nous étions ensemble. Ne l’avais je pas déjà fait avec d’autres maîtres, sans jamais le leur dire, simplement en amenant mon dieu tout près de moi ? Mais était-il vraiment venu ?

Dans un nuage de fumée, je vis mon dieu se détourner, pleurant sur moi. C’était dans une chambre et la chaleur s’élevait d’un chaudron bouillant ! Mon dieu, aide-moi ! C’était une image sans cadre. C’était une chose indicible, que je ne devais jamais revivre ! Je devais voir les choses ici et maintenant.

Gregory tira de sa poche un portefeuille en cuir. Il l’ouvrit sur son genou et, de sa main droite, prit un stylo en or.

Le vieil homme énumérait les sommes en dollars américains. Des sommes considérables. Il énonçait les destinataires à qui devaient être libellés ces chèques : des hôpitaux, des institutions savantes, une société qui transmettrait l’argent à la yeshiva où les jeunes gens de la Congrégation étudiaient la Torah, ainsi qu’à la Congrégation établie en Israël, enfin, à la nouvelle communauté hassidique qui tentait de créer son propre village non loin de cette ville. Le rebbe donnait ses instructions avec le minimum d’explications.

Sans une question, Gregory entreprit de remplir les chèques avec sa plume en or, tournant les feuillets pour continuer, encore, et encore, signant son nom d’un geste puissant.

Enfin, il les posa sur la table devant le rebbe, qui les aligna et les examina soigneusement. Il paraissait surpris.

— Tu me donnerais autant d’argent pour une chose dont tu ne sais rien, et à laquelle tu ne comprends rien ?

— Ce nom est le dernier mot que ma fille ait prononcé.

— Non, tu veux cette chose ! Tu veux t’approprier son pouvoir.

— Pourquoi croirais-je en son pouvoir ? Oui, je le veux, pour le voir, pour tenter de comprendre comment elle en a connu l’existence. Et, oui, je fais don de ces sommes.

— Sors le manuscrit de ces chaînes et donne-le-moi.

Tel un enfant, Gregory obéit avec ferveur. Le manuscrit n’était pas aussi ancien que le coffret. Gregory le déposa dans la main du vieillard.

Te laveras-tu les mains, ensuite ?

Le rebbe m’ignora. Il déroula soigneusement le parchemin, déplaçant ses mains de gauche à droite, afin d’avoir tout le texte étalé devant lui. Puis il commença à parler, traduisant les paroles en anglais avec circonspection, pour que son petit-fils l’entende.

— « Restitue cette chose aux Hébreux car c’est leur magie. Eux seuls ont le pouvoir de la renvoyer en enfer, où est sa place. Le Serviteur des Ossements ne respecte plus son maître. Les vœux antiques ne le lient plus. Les charmes antiques ne le bannissent plus. Une fois appelé, il détruit tout ce qu’il voit. Seuls les Hébreux connaissent la signification de cette chose. Seuls les Hébreux peuvent maîtriser sa furie. Donne-la-leur sans compensation. »

Je souris à nouveau. Je crois que j’ai fermé les yeux de soulagement, puis je les ai rouverts, pour les fixer sur le vieillard qui contemplait le rouleau.

Suis-je réellement venu de mon propre chef ? Je n’osais pas le croire. Non. Il pouvait y avoir un piège, où la mort d’Esther jouerait le rôle d’appât.

Le vieillard contemplait en silence le manuscrit déroulé devant lui Gregory rompit le silence.

— Alors pourquoi ne l’as-tu pas détruit ? Il était dans un tel état d’excitation qu’il n’arrivait pas à rester en place. Qu’est-ce que cela dit d’autre ? En quelle langue est-ce écrit ?

Le vieil homme leva les yeux vers lui, puis vers moi, et se replongea dans l’examen du manuscrit.

— Écoute ce que je vais lire dit-il, car je ne te le traduirai qu’une seule fois :

« Malheur à celui qui détruira ces os, si cela peut être accompli – ce qu’ignorent même les hommes les plus sages –, car alors sera lâché dans le monde un esprit d’une puissance incalculable, sans maître et ingouvernable. Il sera voué par la malédiction à rester dans l’air à jamais, incapable de gravir l’Échelle du Paradis, ou d’ouvrir les portes de la Perdition. Qui sait quelle sera la cruauté de cet esprit contre les enfants de Dieu ? N’y a-t-il pas suffisamment de démons en ce monde ? »

Théâtralement, il regarda son petit-fils, qui ne manifestait que sa fascination.

C’était tout juste si Gregory ne se frottait pas les mains avec convoitise.

Le vieillard reprit, d’une voix lente :

— Mon père l’a pris parce qu’il estimait devoir le faire. Maintenant tu me le réclames. Eh bien, il t’appartient presque.

Le jeune homme parut fou de joie, ou possédé par une joie divine.

— Oh, rebbe, c’est merveilleux, extraordinaire. Mais comment a-t-elle pu le savoir, ma pauvre Esther ?

— C’est à toi de le découvrir, rétorqua froidement le vieil homme. Jamais je n’ai appelé cet esprit, non plus que mon père. Et non plus que le musulman qui l’a remis entre les mains de mon père.

— Donne-moi ce manuscrit. Que je l’emporte.

— Non.

— Grand-père, je le veux ! Regarde, les chèques sont là !

— Demain, quand les sommes seront transférées, quand la transaction sera terminée.

— Grand-père, donne-le-moi maintenant !

— Demain, tu reviendras me voir, et tu l’emporteras. Tu deviendras le maître du Serviteur des Ossements.

— Espèce de vieil entêté ! Tu sais que ces chèques sont réguliers. Donne-le-moi !

— Oh, que tu es pressé !

Il me regarda. J’aurais juré qu’il était disposé à sourire avec moi si je l’y avais invité, mais je n’en fis rien. Il reporta ses yeux sur son petit-fils.

— Pourquoi l’as-tu tuée ? demanda le vieil homme.

— Quoi ?

— Pourquoi as-tu fait tuer ta fille ? Je veux le savoir. Pour prix, j’aurais dû exiger ta réponse !

— Oh, tu es idiot, vous l’êtes tous, vous, les ardents défenseurs de votre dieu, vous, les idiots superstitieux.

Le vieillard était hors de lui.

— Tes temples, Gregory, sont les maisons des dupes et des maudits. Mais cesse tes injures ! Nous nous connaissons l’un l’autre. Demain soir, quand mes banquiers me confirmeront que ton argent est entre nos mains, viens chercher cette chose et emporte-la. Et garde le secret. Tiens ton serment. Ne révèle à personne que tu es… que tu étais… mon petit-fils.

Gregory sourit, haussa les épaules, et ouvrit les mains dans un geste d’acceptation. Il se retourna pour partir, sans même jeter un regard dans ma direction.

Il s’arrêta à la porte et se tourna vers son grand-père.

— Dis de ma part à mon frère Nathan que je le remercie d’avoir appelé pour me dire ses condoléances.

— Il n’a pas fait ça ! cria le rebbe.

— Si, il l’a fait. Il m’a appelé pour me réconforter, et ma femme aussi.

— Il n’a rien à voir avec toi et ceux de ton espèce !

— Je ne te dis pas cela, rebbe, pour attirer sur lui les foudres de ta colère, mais pour que tu saches que mon frère Nathan m’aime suffisamment pour m’appeler et me dire qu’il était affligé d’apprendre la mort de ma fille.

Gregory ouvrit la porte. Le froid de la nuit était à l’affût.

— Laisse ton frère tranquille !

Le vieil homme se leva, les poings appuyés sur la table.

— Économise tes paroles, répliqua Gregory. Garde-les pour tes ouailles. C’est l’amour que prêche mon Église.

— Ton frère marche avec Dieu, rétorqua le rebbe, mais sa voix s’était brisée.

Il était épuisé. Il hasarda un regard vers moi. Je soutins son regard.

— N’essaie pas de tricher avec moi, rebbe, lança Gregory tandis que l’air froid s’engouffrait dans la pièce. Si je ne trouve pas cette chose demain soir comme promis, je me présenterai aux caméras sur le seuil de ta maison. Et je raconterai dans mon prochain livre les histoires de mon enfance parmi les hassidim.

— Raille-moi si tu veux, Gregory, dit le vieil homme en se redressant péniblement. Mais le marché est conclu, et le Serviteur des Ossements sera demain à ta disposition. Tu me débarrasseras de cette chose. Toi qui es le mal. Toi qui fais le mal et qui marches au côté du Diable. Ton Église marche au côté du Diable. Les membres de ton Église appartiennent au Diable. Bienvenue à ce démon et à ses semblables. Sors de ma maison.

— Oui, mon maître. Mon Abraham. Il ouvrit la porte, la franchit, et se pencha encore vers la pièce, offrant à la lumière son visage souriant. Mon Patriarche, mon Moïse ! Transmets à mon frère toute mon affection. Dois-je exprimer tes condoléances à mon épouse éplorée ?

Il sortit et claqua la porte. Les objets en verre et en métal frémirent légèrement.

Nous nous dévisageâmes, le vieil homme et moi, à travers la petite pièce poussiéreuse ; je sortis à demi des rayonnages, et il resta immobile.

Il tremblait.

Rentre dans les ossements, esprit. Jamais je ne t’ai appelé. Je ne te parle pas, sinon pour te chasser loin de moi.

— Pourquoi ? implorai-je. Je parlai en hébreu ancien, sachant qu’il le connaîtrait. Pourquoi me méprises-tu, vieillard ? Qu’ai-je fait ? Je ne parle pas de l’esprit qui détruit les magiciens, je parle de moi, Azriel ! Qu’ai-je fait ?

Il était stupéfait et ébranlé. Je me tenais devant son bureau ; je portais des vêtements comme les siens et, baissant les yeux, je vis que mon pied avait failli toucher le coffret. L’odeur de l’eau bouillante envahit mes narines.

— Mardouk, mon dieu, m’écriai-je en chaldéen.

Il connaissait les paroles, ce zaddik ! Eh bien, qu’il me contemple avec horreur.

— Oh, mon dieu, ils ne veulent pas m’aider ! Je psalmodiai les paroles en chaldéen. Je suis encore ici, et il n’y a pas de juste voie !

Le vieil homme était fasciné et horrifié. Submergé par le choc et la haine. Il lança les mains en avant.

— Disparais, esprit, sors d’ici, et retourne dans les ossements d’où tu es issu !

Je sentis un élan parcourir mes membres. Je tins bon.

— Rebbe, tu as dit qu’il l’avait assassinée. Dis-moi s’il l’a vraiment fait. J’ai tué les hommes qui l’avaient frappée !

— Disparais, esprit.

Il se couvrit le visage de ses mains, et détourna la tête. Sa voix s’amplifia. Il s’écarta de son bureau et se mit à tourner autour de moi en criant des mots, de plus en plus fort, de plus en plus clairement, agitant ses mains devant moi. Je me sentis faiblir. Je sentis des larmes sur mon visage.

— Rebbe, pourquoi as-tu dit qu’il avait tué Esther ? Dis le moi, et je la vengerai ! J’ai tué les meurtriers ! Oh, Dieu éternel des Armées, quand Yahvé a parlé à Saül et à David, il a commandé : « Tue-les tous jusqu’au dernier, homme, femme, et enfant ! » Et Saül et David lui ont obéi. N’était-il pas juste de tuer les trois assassins d’une innocente jeune fille ?

— Disparais, esprit ! Disparais ! Je n’accepterai aucun échange avec toi. Retourne dans les ossements !

— Je te maudis, je te hais ! lui répondis-je, mais aucun son ne sortit de ma bouche.

Je me dissolvais. Tout ce que j’avais rassemblé sur moi se dispersait, comme si le vent s’était frayé un chemin sous la porte et m’avait saisi.

— Disparais, esprit, disparais d’ici, disparais de ma maison et de ma vue !

L’obscurité.

Pourtant, je ne pouvais cesser de penser.

Je ne pouvais cesser d’être.

Je te reverrai, vieillard.

Des rêves me vinrent comme si j’étais humain, et je dormis. Mon esprit avait ouvert ses portes à des maîtres vivants. Non, Azriel, non, meurs, mais ne rêve pas.

Pourtant, les traits de Samuel apparurent ; Strasbourg ; un autre sanctuaire de manuscrits et de livres en flammes. J’entendis ma voix : « Prends-moi par la main, maître, emporte moi dans la mort. » Sois maudit, Samuel ! Sois maudit, vieillard.

Soyez tous maudits, maîtres !

Du sommet d’une colline, je contemplais la petite ville de Strasbourg. Oh, à ce moment-là, rien n’était aussi précis que ce que je vous ai décrit. Mais c’était là, je le voyais. Je savais que tous les Juifs souffraient. Je savais que j’étais l’un d’eux. Pourtant, c’était impossible ! Les cloches carillonnaient. Les arrogantes cloches des assassins sonnaient dans leurs églises. Le ciel était ce ciel lourd et muet des jours anciens – il y a six cents ans – peut-être quand l’air ne parlait pas et que j’entendais si clairement les cloches.

« Azriel ! » Bruissement. Vent. Les invisibles approchaient, ils venaient à moi dans une brume fumeuse, m’encerclaient, sentant la faiblesse, la peur, et la souffrance. « Azriel ! » Le grondement jaloux des morts avides et désespérés, contraints de rester sur terre, m’enveloppait.

Éloignez-vous de moi. Laissez-moi me rappeler.

Je voulais savoir. Je voulais les écarter pour passer comme j’avais fait sur le trottoir lorsque Esther m’avait regardé. Je voulais me rappeler, je voulais…

L’espace d’un instant, lumineux, je tins tête au rebbe, mais le rebbe était immense, et sa voix plus forte que le vent.

Esprit, disparais ! Je te l’ordonne ! De fureur, le vieil homme avait le visage rouge sang.

Disparais !

Ses paroles me frappèrent. Me blessèrent. Me fouettèrent. Donnez-moi le silence à présent. S’il ne peut y avoir de paix, il peut y avoir le silence et l’obscurité. Ce pourrait être pire, Azriel.

Il est dur d’être blessé, mais pas aussi dur que de tuer l’innocent et de sourire de haine.

Le sortilège de Babylone
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